Introduction aux actes de la conférence J.R. Abrial, un pionnier du développement scientifique des langages informatiques et des méthodes formelles et de leur application à grande échelle dans l'industrie, Nantes, 27 mai 2025



Introduction
Henri Habrias
henri.habrias@univ-nantes.fr


La dernière chose qu'on trouve, en faisant un ouvrage, est de savoir
celle qu'il faut mettre la première


Blaise Pascal, Discours sur les passions de l'amour





Mes premiers livres d'informatique furent le "Meyer et Baudoin" Méthodes de programmation, les livres de Mickaël Jackson, ceux de Jean-Dominique Warnier et le "Delobel Adiba", Bases de données et systèmes relationnels. Que j'ai vite complétés avec ceux de Tony Hoare (CSP) et de Robin Milner (CCS) dont j'appréciais la pédagogie. Je faisais alors ce qu'on appelait de l'"intégration de méthodes", en plus de la "méthodologie", étude des méthodes (1), terme qui était utilisé dans l'emploi du temps quand je suis arrivé à l'IUT de Nantes. La théorie naïve des ensembles - que je n'ai pas subie au lycée -(2)  était mise en œuvre dans LCP de Warnier. Quand je l'ai mise en avant auprès de certains collègues formés à l'informatique, l'accueil ne fut pas chaleureux. J.R. Abrial raconte la même chose dans sa conférence au Collège de France. Heureusement, j'ai eu un collègue de formation mathématique qui a apprécié. J' ai complété ma bibliographie par l'article Data Semantics de J.R. Abrial, publié dans les actes de la conférence de Cargèse. Introuvable sur la Toile, et dans les bibliothèques (sauf une !) nous le reproduisons dans ce document ainsi que la première publication sur Z qui est parue dans le Meyer et Baudoin dont Bertrand Meyer nous a autorisé la reproduction.
C'est ainsi que j'ai suivi les écrits de J.R. Abrial pendant des décennies. J'ai profité de ses écrits avant publication (3). Il a traité de mes sujets de programmation avec ce qui n'était pas encore B. (4). Et a accepté en 1998 de venir enregistrer son cours sur B à Nantes en studio devant un groupe d'étudiants. Ces cassettes VHS ont servi à l'enseignement de B dans plusieurs établissements en France et dans le monde.
Avec B je retrouvais les trains. Mon premier mémoire en 1969 fut intitulé "Déficit et options tarifaires dans le chemin de fer". Avec Abrial j'avais le professeur idéal pour mon auto-formation en informatique et des applications qui me plaisaient.
Un jour un collègue britannique Bill Stoddart de l'Université de Teesside a été chargé d'établir des relations avec des établissements universitaires français. Il enseignait Z, que j'enseignais aussi, après avoir enseigné VDM et le langage Metoo. Alors Bill est passé par Nantes. Ce fut l'occasion de longs échanges avec Bill, Steve Dunne et Andy Galloway,et des cours dans le cadre d'Erasmus avec des étudiants de divers établissements d'Europe. Les échanges se sont prolongés avec B.
L'équipe que nous nommerons en français, "L'école buissonnière de Teesside" présente un article intitulé Much Ado About Nothing sur l'utilisation de la théorie des bunchs en B, et nous ramènent à VDM. J'aurais bien aimé un dialogue comme celui entre Raymond Devos (5) et Claude Hagège lors de l'émission Apostrophes le 6 décembre 1985.

En 1995, j'ai monté la conférence internationale Z2B, puis l'année suivante la première conférence sur B, à l'occasion de la sortie du B-Book. J.R. Abrial y a présenté un exposé Extending B without changing it où il introduisait ce qui allait devenir le B événementiel. Nous reproduisons cet article dans ce document.
A l'occasion j'ai de cette conférence j'ai créé l'association ACPB, Association de Pilotages des Conférence internationales B", dont le président est actuellement Dominique Méry. Depuis la conférence continue dans le cadre des conférences ABZ. Cette année est le vingt-cinquième anniversaire de la première conférence.
Dominique Méry nous présente Teaching formal techniques with Event-B and Rodin et toute l'histoire de ses enseignements et recherches. En préparant cette journée, nous avons pu constater que la mémoire dite "numérique" (pourquoi pas "alpha-numérique ?") s'efface plus facilement que celle sur papier. Bien des documents sont introuvables de nos jours. (6)
Pour le langage LTR (Langage Temps Réel), nous n'avons pu retrouver nos relations à l'Arsenal d'Indret qui pratiquaient LTR et Socrate (puis Clio). Nous remercions Didier Andreu (10) qui nous a transmis ses cours sur LTR . Une semaine avant la conférence, Pascal Poizat, ancien de Nantes, nous a signalé un rapport de l'Assemblée Nationale parlant de LTR. En quelques jours nous avons eu des échanges avec des anciens du Centre de Programmation de la Marine. Et finalement avec Gérard Le Lann qui a connu J.-R. Abrial au CPM et a continué à échanger avec lui. Lors de la première conférence de Nantes, Gilles Kahn nous avait parlé de l'accident de la fusée Ariane. Trente ans plus tard Gérard Le Lann nous cite son rapport de l'INRIA qui contredit le rapport du BEA (Bureau d'Enquête Accident), présidé par G. Khan. (11). En master d'histoire des sciences au Centre François Viète à Nantes on nous disait en 2008-09 que dans 20 ans on se demanderait ce qui a provoqué un trou dans la documentation ! Notons que nos collègues britanniques ont publié pas mal de textes disponibles sur l'histoire de l'informatique au UK. Nous les citons souvent dans ce document. C'est beaucoup plus rare en France, en France où nous n'avons toujours pas de musée de l'informatique, malgré les efforts de l'association Aconit (7) à Grenoble qui fait un travail d'information et de conservation.
Heureusement, à Grenoble, Jean-Pierre Giraudin avait la documentation sur le SGBD Socrate et sur le "Z de Grenoble". Et il venait de participer à la rédaction, avec Michel Adiba d'un ouvrage sur l'histoire de l'informatique à Grenoble (8) Nous avons aussi profité du mémoire de Jean Ricordeau (9)

Nous n'avons pas cité tout ce qui a été publié sur Z et B. On trouvera une bibliographie ici (12) . Mais avons fait une très longue bibliographie chronologique avec citations qui permet de situer temporellement les publications de J.R. Abrial, autour et alentours.
Avec un exemple simple, "Une porte est ouverte ou fermée" nous présentons B, Event-B et Z et leurs différences.
En avril 2015, J.R. Abrial a été invité à faire une conférence au Collège de France et a fait l'histoire d' "un chercheur monomaniaque" qui voulait répondre à la question "Comment savoir si ce que l'on programme est bien ce que l'on voulait ?". Nous en avons fait une transcription partielle, principalement sur les travaux avec la RATP, complétée en amont et en aval, principalement par les travaux d'Abrial, qui fut la plupart du temps "Consultant indépendant", rue des plantes à Paris, puis à Marseille.
Les applications "industrielles" sont une des caractéristiques des travaux de J.R. Abrial. Fernando Mejia a accepté que soit inclus dans ce document son avant-propos du livre Spécification formelle avec B (13). Et Thierry Lecomte (Clearsy), Frédéric Badeau (Systerel) ont contribué à l'écriture de cette histoire. De plus je n'oublie pas que Clearsy nous a adressé gratuitement l'Atelier B ce qui nous a permis de monter des Travaux Pratiques pour nos étudiants... et de participer aux discussions sur le forum du BUG (B User Group). Je pense à Ranan Fraer (14) qui a dépanné beaucoup d'entre nous. J'ai découvert lors de l’École EDF, CEA,INRIA au Bréau-Sans-Nappe en 1995 où Ranan passait ses nuits sur l'Atelier B, qu'il répondait aux questions des utilisateurs de l'atelier sans l'avoir eu entre les mains ! Merveille des mathématiques !
Guy Lafitte qui fut ingénieur à l'INSEE, en poste à Paris puis à Nantes, est remercié par J.R. Abrial pour ses apports. Guy a appliqué B lors du recensement de la population (15). Retraité, il continue sa disputatio sur des algorithmes (3) publiés ou en invente. Il nous traite ici de la pile des vêtements qui parlera à tout le monde, dans un monde où on ne jette pas un vêtement ou un drap qui n'a été utilisé qu' une seule fois.
Le développement de B s'est fait aussi en partie via des projets. Nous en donnons l'historique. Un a conduit à la plateforme Rodin https://wiki.event-b. org/index.php/Rodin_Platform_Releases.
De nos jours, la "notation UML" est dans tous les programmes d'enseignement. Avant elle on a vu arriver bien des notations pour exprimer ce qui se trouvait dans Data Semantics (16). On a même eu une notation qui utilisait des symboles quand il n'y avait pas de contrainte. Il fallait bien du nouveau ! Imaginez circuler sur une voie où est indiqué, non ce qui est interdit, mais ce qui est autorisé. Une notation qui n'est pas celle d'un pays de liberté. Nous avons enseigné une notation, celle du "modèle relationnel binaire" (17) introduite pas Nijssen. Elle permettait d'exprimer les contraintes ensemblistes, et pour les relations n'utilisait que deux symboles, celui de totalité (le quantificateur universel) et celui d'unicité (les fonctions). De plus il permettait d'exprimer des phrases sous la forme sujet verbe complément. La notation de Z, de B n'est pas une application du rasoir d'Occam. Alors nous proposons notre notation qu'on appellera Oc. On ne nie ni ses racines, ni son accent. Mais nous avons
connu les différentes propositions de claviers ergonomiques. Elles n'ont pas eu de succès. On en est toujours à AZERTY et QWERTY, ce qui gêne moins de nos jours car on transporte son propre ordinateur. Le temps creuse les sillons, mais parfois les comble. Je ne prévois pas de succès pour cette notation.
En réussissant à lire de vieux CD, nous avons retrouvé un article non publié et intitulé "Des crayons et des couleurs". Nous l'avons rénové en lui donnant un titre moins enfantin : "Ontologie ensembliste avec B". Les lecteurs de la bibliographie y trouveront des illustrations des entrées inhabituelles dans une bibliographie du génie logiciel. Ce sera notre interprétation de la statue Éloge du pas de côté de Philippe Ramette que les participants verront place du Bouffay à Nantes.


Vous n'avez pas des "mélanges" sous les yeux. Ce ne sont pas ce que les anglophones nomment des Essays in Honor of ou A Tribute to. Ce n'est pas une thèse d'histoire des sciences et des techniques sur le développement des logiciels. Nous n'en avons pas trouvé qui ait été soutenue en France. Le thème n'est pas "porteur". 

Disons que c'est un B log !

Certains constateront que J.R. Abrial a commencé à travailler sur "le temps réel" au Centre de programmation de la Marine, puis dans le domaine des bases de données, de la modélisation "basée sur un état", avec comme il le dit dans sa conférence au Collège de France, une mono-manie, spécifier, prouver le développement avant l'écriture du programme. Pendant des années il a laissé de côté l'aspect
"événementiel". Puis y est revenu avec Event-B. Et lors de sa conférence au Collège de France, nous a présenté les "systèmes hybrides", invité par Gérard Berry, qu'il a connu à ses débuts dans les années 70, qui vient de publier "Le temps autrement" (18) .
L'historien en produira certainement "du sens".


Nous remercions Jean-Raymond Abrial dont la démarche, la pédagogie, les publications ont motivé bien des universitaires et praticiens de par le monde.
Jonathan Bowen a écrit que Ib Holm Sorensen (19) qui a travaillé avec J.R. Abrial à Oxford était un "doer" (20). Deux "doers" ont partagé le même bureau à Oxford.
En 1995 eut lieu dans l'amphithéâtre du Musée Dobrée à Nantes la conférence From Z to B suivie l'année suivante par la First B International Conference.


C'était il y a trente ans !


Remerciements
Nous remercions Pascal André, maître de conférences, HDR à Nantes Université et le Laboratoire des Sciences du Numérique de Nantes (LS2N). Sans eux, cette conférence ne pourrait avoir lieu. 

Marc Guyomard, ancien professeur de l'ENSSAT de Lannion, comme Pascal André ont permis la constitution des actes. 

Nous remercions Nantes Université qui permet une fois de plus de parler de B à la Cité des Congrès de Nantes. Les deux dernières fois ce fut aussi dans le cadre des Journées Scientiques (JS), en 2008 et 2013, avec la série des conférences The B method, from research to teaching, J.R. Abrial ayant été le conférencier invité de la première JS, celle de 2008.
Et tous ceux qui nous ont fourni de la documentation, ont fait des scans de documents, et ceux qui ont autorisé la reproduction de textes. Et n'oublions pas tous nos correspondants qui nous ont fait de promptes réponses.
Enn, merci à Nicole qui ne pensait pas que mon bureau reprendrait son allure d'antan.



1. Le terme méthodologie est utilisé à la place de méthode, il fait plus doux à l'oreille !
2. Les manuels d'alors, à part les ouvrages destinés aux mamans et aux papas ( !), étaient plus difficiles à lire que la Note historique et le fascicule de résultats du volume La théorie des ensembles, Chapitres 1 à 4, N. Bourbaki, Eléments de mathématiques, Masson, 1990
3. J.R. Abrial, A small study in program design, Nov. 1986, non publié, A formal introduction to abstract machines, May 4, 1987, Abstracts machines, 1988
4. H. Habrias, Le cas des élections à la proportionnelle en LCP, Programmation déductive,Méthode de J.R. Abrial. Rappelons que la seule élection législative française à la proportionnelle de la Ve République eut lieu le 16 mars 1986 sous F. Mitterrand.
5. " Et si, vous-mêmes, mesdames et messieurs, vous n'avez rien à dire, eh bien, on en
parle, on en discute ! Je ne suis pas ennemi du colloque.
Mais, me direz-vous, si nous parlons pour ne rien dire, de quoi allons-nous parler ?
Eh bien, de rien ! De rien !
Car rien... ce n'est pas rien
La preuve, c'est qu'on peut le soustraire.
Rien moins rien = moins que rien !
Si l'on peut trouver moins que rien c'est que rien vaut déjà quelque chose !
On peut acheter quelque chose avec rien !

En le multipliant
Un fois rien... c'est rien
Deux fois rien... ce n'est pas beaucoup !
Mais trois fois rien ! Pour trois fois rien, on peut déjà acheter quelque chose... et pour pas
cher !
Maintenant, si vous multipliez trois fois rien par trois fois rien :
Rien multiplié par rien = rien.
Trois multiplié par trois = neuf.
Cela fait rien de neuf !"

6. C'est le cas de la revue TSI et de son article : J.R. Abrial, Spécifier ou comment
maîtriser l'abstrait
, Vol.3, N°3, pp. 201-319, 1984. 

10. Ancien enseignant-chercheur à l'université Montpellier II, maintenant co-fondateur, responsable de la section technologique et directeur général de la société Neurinov https://neurinnov.com/ qui a accepté la publication de son cours, de ses sujets d'examen et de travaux pratiques.
11. https://www.rocq.inria.fr/novaltis/research_reports/RR-3079.pdf The Ariane 5
Flight 501 Failure - A Case Study in System Engineering for Computing Systems
12. https://www.atelierb.eu/methode-formelle/bibliographie/
13. H. Habrias et al., Hermès Lavoisier, 2001
14. https://www-sop.inria.fr/croap/personnel/Ranan.Fraer.html
15. Guy Laffitte, Pascal Bernard, The French Population Census for 1990, ZUM95, 9th  16. J.R. Abrial, Data Semantics in Data Base Management, Klimbie, Koeman, eds, North-Holland, 1974, pp. 1-59
17. H. Habrias, Le modèle relationnel binaire, méthode IA,(NIAM), Eyrolles, 1988

18. Gérard Berry, Le temps autrement, Odile Jacob,2025
19. Ibn Holm Søorensen : Ten Years After, Jonathan Bowen, FACS FACTS Issue 2022-2 July 2022 20. "Le nom doer (prononcé doueur) est bien ancré en anglais ; il désigne une personnequi agit pour affronter un problème, et s'oppose au thinker, qui resterait, lui, au stade de la réflexion. Cette opposition entre ces deux attitudes est très ancienne ; ainsi, dans son Bellum Jugurthinum, Salluste loue Jugurtha de réussir à les concilier : Ac sane, quod dicillumum in primis est, et proelio strenuus erat et bonus consilio (" Et de fait, il réunissait les deux qualités les plus diffciles à concilier, la bravoure au combat et la sagesse au conseil "). Si le français n'a pas un substantif équivalent à doer, alors que " penseur " traduit fort bien thinker, il a à sa disposition de nombreuses formes verbales, comme " ceux qui agissent, qui font, qui réalisent, qui sont dans l'action ", ou nominales, comme " hommes d'action "."
https://www.academie-francaise.fr/doer

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