Jean-Raymond Abrial (1938, 2025)

 


Jean-Raymond Abrial (1938, 2025)
Jean-Raymond Abrial est décédé les 26 mai 2025 la vieille de la conférence qui a eu lieu dans le cadre des Journées Scientifiques de l'université de Nantes et qui traitait de ses travaux et de leur mise en oeuvre dans différentes domaines.J.-R Abrial est né en 1938 à Versailles. Après des études au Prytanée militaire de la Flèche, il fera l'Ecole Polytechnique. En 1960 il sera ingénieur du génie maritime. Il sera boursier du gouvernement français à Stanford University puis au Centre de Programmation de la Marine où il travaillera sur une version du langage LTR (Langage Temps Réel). C'est là que Gérard Le Lann, qui a fait partie de l'équipe ayant conçu Internet, l'a connu. J.-R Abrial est pour lui "l'un des plus grands informaticiens français ! Peu enclin à épouser les « modes » qui agitent plus ou moins régulièrement les communautés scientifiques.
Liberté de penser, de créer, et liberté d'essaimer !".A Grenoble, dans une université qui va être une des premières en France à développer les enseignements et recherches en informatique en France, il va à partir de 1969 avec une équipe de trois personnes créer le système de gestion de base de données Socrate en moins de 2 ans. Il fera appliquer une démarche qui sera la sienne dans la suite de ses travaux, spécifier avant de programmer. Son efficacité s'est manifestée par le peu de durée de la une réalisation rapide. François Peccoud, initiateur du projet Socrate, a écrit que J.R. Abrial "se fixe un délai d'un mois pour réaliser l'écriture d’une spécification, imaginant qu’elle aura 100 procédures tenant dans un document de 100 pages et ensuite 3 mois pour que l’équipe comprenne et s’approprie la spécification et enfin seulement on passera à la programmation" (Mémoire de Jean Ricodeau).
En 70-71 il fera un cours original "Structure de données et de programme, point de vue existentiel".
Lors du colloque de Cargèse de 1974, il publiera "Data Semantics", un article qui se retrouvera en tête des bibliogaphies pendant des décennies. C'est à Grenoble qu'il publiera les premiers écrits sur la méthode et notation de spécification formelle Z. Z c'est le langage ultime et la première lettre de Zermelo. Il utilisera la théorie des ensembles, sa notation et le langage des prédicats. Z de Grenoble fut diffusé tout d'abord via le "Meyer Baudoin" (méthodes de programmation) puis par le "Delobel Adiba" (bases de données et systèmes relationnels). Socrate fut immédiatement utilisé à Grenoble dans les filières informatique et professionellement via la société Eca-Automation puis à l'armée, gendarmerie, EDF, SNCF. Il y eut ensuite une nouvelle version sous le nom de Clio réalisée au sein de la société Syseca. Comme nous l'écrit Christian Jullien "même en SQL,les bases Socrate ont pu être exploitées et beaucoup d’autres comme CLIO/SQL, ORCHIS-Base, ouvertes sur les nouveaux langages d’interrogation. Tony Hoare qui a assisté à un cours d'Abrial dans les Alpes, l'a fait venir au Programming Research Group d'Oxford en 1979 pendant deux ans. C'est là qu'avec d'autres sera réalisé la version connue de Z. La mise en oeuvre de Z chez IBM conduira à restructurer et réécrire des parties de leur logiciel CICS (Customer Information Control System). Ce qui vaudra au PRG son premier Queen's award for technology.
Abrial fera partie de l'équipe Green de CII-Honeywell-Bull dirigée par Jean Ichbiah qui sera sélectionnée pour définir le langage qui s'appelera ensuite Ada en mémoire de Ada Lovelace, la fille de Lord Byron, dite "la première programmeuse de l'histoire". Dans sa conférence au Collège de France en 2015, conférence toujours en ligne sur le site du Collège de France, Jean-Raymond raconte comment il travaillait et ce qui deviendra la méthode B. Dans un article de 1984 de la Royal Society, "La programmation comme un exercice mathématique", il présente sa méthode "Une conséquence de ce point de vue est que l'activité de construction de programmes se transforme en celle de construction de preuves." Il sera presque tout le temps "consultant indépendant". Il sera professeur au Cnam à Paris. Il adressait à de nombreux enseignants et à des personnes préparant un diplôme d'ingénieur Cnam ses travaux en cours. Et avait développé un outil d'aide au développement, le B-Tool, d'aide à la démonstration de théorèmes interactif. Je me souviens qu'il avait traité du cas des élections à la proportionnelles de 1986, selon la démarche présentée dans son article. intitulé "Spécifier ou comment maîtriser l’abstrait", avec une longue citation de Proust qui dénotait dans le milieu universitaire. Un article très pédagogique. La méthode B était en gestation. B car "avant C" (l'atelier B générait de l'ADA et du C), et "avancé".
En 1990, il sera de nouveau à Oxford où chez British Petroleum sera réalisé le B-Toolkit. En B, on a des machines abstraites et on prouve que les opérations respectent l'invariant. Par exemple, l'invariant peut spécifier que l'intersection généralisée des enveloppes des rames de métro est toujours vide. Il faudra ensuite préciser comment on calcule ces enveloppes qui évoluent du fait de la vitesse, du poids des voyageurs). On passe d'une spécification de machines abstraites à des machines plus proches du logiciel en faisant ce qui est appelé le raffinement. Dans l'invariant on relie des variables abstraites aux variables plus concrètes. Il faut alors faire de la preuve de raffinement. A la fin du processus, on génère un programme qu'on ne touchera pas. On a fait de la preuve en construisant le programme et non de la preuve une fois le programme écrit. Le B-Book publié en 1996 sera sous-titré "Assigning programs to meaning", un clin d'oeil à la publication de 1967 de Robert Floyd intitulée "Assigning meanings to programs", article qui est une des sources de B.
En 1990, Guy Laffitte utilisera B et le Btool à l'INSEE pour le recensement général de la population.
Dans les années 80 la RATP fera appel à Abrial pour la ligne A du RER, où doit être installé le premier logiciel de contrôle-commande sécuritaire jamais mis en oeuvre en France. Voici ce qu'il nous en dit lors de sa conférence du Collège de France.
Claude Hennebert m'a dit "on voudrait faire un audit technique". L'audit a duré trois semaines. Je devais répondre à la question "Les moyens mis en oeuvre permettent-ils de garantir que le produit final correspond bien à sa spécification initiale ? j'ai dit, je ne peux pas répondre parce que je n’ai pas vu des spécification cations". On m'a répondu "Il n'y avait pas de spécification, alors faites nous un cours de spécification. Et à la mi-80 la RATP a décidé de se lancer dans un métro sans conducteur, la ligne 14 dont les parties critiques ont été développés en B. Avec l'appui d'Abrial, Alstom décide de développer son propre ensemble d'outils. Et en 1993 la première version du BToolset comprenant un vérificateur de type, un générateur d'obligations de preuves et prouveur de théorème pour des logiciels de taille industrielle est réalisée. Abrial propose alors que la société Digilog, puis Steria et aujourd'hui Clearsy industrialise ces outils. Aujourd'hui, l'Atelier-B est disponible gratuitement via le site web de Clearsy. Deux sociétés faisant du B ont été créées en à Aix-en-Provence, Clearsy et Systerel.
En 1993, Alstom livrera aux métros de Calcutta et du Caire, à la SNCF et à la RATP les premiers systèmes de contrôle de vitesse de trains intégrant des logiciels développés avec B. Aujourd'hui de nombreux métros dans le monde ont du B dans leur logiciel.
B sera utilisé au centre de recherche de Gemplus à Gemnos pour la carte à puce.
En 1996 lors de la première conférence internationale sur B à Nantes, Abrial fera un exposé sur l'extension de B sans le changer pour développer des systèmes distribuées. Ce sera le début du "B événementiel". En 2010 sera publié Modeling in Event-B, System and Software Engineering.
Cette année a eu lieu la dix-huitième conférence traitant de B à Düsseldorf. Y a été présenté par Dominique Cansell un article rédigé en 2019 avec Abrial.
De 2004 à 2009, Abrial sera en poste à l'Ecole Polytechnique de Zûrich et avec une équipe développera la plateforme Rodin.
En 2006 il sera reçu membre de l'Academia Europea et en 2008 docteur pour l'honneur de l'Université de Sherbrooke.
En 2017 il recevra en présence du président chinois Xi Jinping l'International Scientific and Technological Cooperation Award.
Lors de l'introduction de sa conférence au Collège de France, il dira : "Il y a deux sortes de chercheurs : les prolifiques et les monomaniaques.
Je fais partie de la seconde catégorie, car j'ai toujours pratiqué le même genre d’investigations, à savoir la spécification et la construction vérifiée de systèmes informatisés"
Jean-Raymond aura été un chercheur, un praticien dont la démarche, la pédagogie, les publications ont motivé bien des universitaires et praticiens de par le monde. Jonathan Bowen a écrit que Ib Holm Sorensen qui a travaillé avec J.R. Abrial à Oxford était un "doer" . Deux "doers" ont partagé le même bureau à Oxford.
Z puis B furent la "lingua franca" de beaucoup d'enseignants. Jean-Raymond Abrial était aussi un alpiniste  et un marcheur aussi bien de Marseille à Cassis via les calanques qu'à travers le Sahara et d'autres régions du monde.

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Henri Habrias

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