Jeudi 5 juin 2025 en hommage à Jean- Raymond Abrial devant sa famille et ses amis réunis, Georges Vigliano
Ce qui suit est la retranscription des mots que j'ai adressés le jeudi 5 juin en hommage à Jean-
Raymond Abrial devant sa famille et ses amis réunis. [Discours complété ici par quelques
explications].
Je n'ai évoqué alors qu'une petite partie de ce que Jean-Raymond a apporté à l'informatique, que ce
soit en France ou dans le monde. Mais j'ai voulu surtout montrer ce qu'il a apporté à ceux qui
comme moi ont eu la chance de travailler avec lui, guidés par lui dans un espace informatique
nouveau, l'espace en construction de ce qui s'appelle aujourd'hui les Systèmes d'Information.
L'histoire, pour nous, a commencé l'hiver 1968. Le terme « nous» m'associe à deux étudiants
fraîchement diplômés, l'un, Georges Beaume, comme moi licencié en Mathématiques Appliquées de
l'université de Grenoble et le troisième, Robert Morin, diplômé Ingénieur de l'INPG .
C'est en leur nom que j'ai parlé, mais aussi en celui de tous ceux qui ont pu participer à l'épopée du
projet évoqué ici, Socrate, sur lequel s'est bâtie une partie importante de notre vie.
En 1968 donc, la France en informatique était à la traîne des Etats-Unis. Il était important de
développer une industrie capable de construire des ordinateurs concurrentiels et de développer des
logiciels qui fonctionnent sur ces nouveaux matériels. C'est dans ce contexte que la Délégation à
l'Informatique (la D.I. dépendant du ministère de l'Industrie) demande à l'IMAG (Institut de
Mathématiques Appliquées de Grenoble) de concevoir un langage permettant de faciliter la
description et la gestion de données afin de l'intégrer dans les nouveaux ordinateurs français en
gestation à la CII. Simultanément, une seconde demande provient de l'Hôpital de Grenoble :
certains services voudraient utiliser l'informatique pour communiquer entre eux les dossiers
médicaux de leurs patients. Les deux demandes sont soumises au département « gestion de
données » de l'IMAG, que nous venions d'intégrer, Georges B. et moi. Sur les conseils sans doute de
la DI, l'IMAG fit appel à un jeune ingénieur de l'Armement, brillant polytechnicien déjà
expérimenté, Jean-Raymond Abrial (JRA à jamais). Il venait de faire les preuves de son savoir-faire
pour mener à bien un grand projet informatique pour le compte du ministère de la Marine.
A peine arrivé à Grenoble JRA a l'idée de répondre au premier problème en concevant et en
construisant un nouveau logiciel (qu'on désignera bientôt par le sigle SGBD, Système de Gestion de
Bases de Données). Il serait mis à l'épreuve et ainsi validé dans les services « témoins » de l'hôpital
de Grenoble pour répondre à leur problème de partage de dossiers médicaux.
Une équipe de chercheurs fut constituée autour de lui, dont nous eûmes le bonheur de faire partie,
Georges, Robert et moi pour réaliser ce projet, auquel fut donné le nom de Socrate, philosophe
mythique de la Connaissance. Pour nous l'aventure commençait. Mais nous ne savions pas que
notre vie prenait un tournant définitif au contact de Jean-Raymond.
Le génie de JRA était tel qu'il arrivait à nous persuader que en avions autant que lui. Il nous
exposait un problème à résoudre, nous en présentait des solutions et nous en discutions durant la
journée. Le lendemain il nous apportait le squelette de l'algorithme qu'il avait écrit dans la nuit.
Nous en simulions le déroulement « à la main » au tableau noir afin d'en déterminer les pièges et les
erreurs. Et tout le logiciel était ainsi mis à l'épreuve, par modules indépendants, au fur et à mesure
que nous le concevions. Nous n'avions plus qu'à programmer, tester et mettre au point l'embryon de
système logiciel qui deviendra le premier prototype opérationnel de Socrate.
Il nous fallut deux ans (1969 et 1970) pour obtenir ce résultat et pouvoir le montrer à nos
commanditaires.
C'est alors Jean-Raymond qui convainquit les sommités de l'IMAG que nous présentions ensemble,
GB, MRO et moi, une thèse commune, pour la première fois dans le domaine Informatique. Et qui
nous convainquit de le faire.
C'est encore Jean-Raymond qui obtint de la DI que le prototype de Socrate soit transporté sur les
nouveaux ordinateurs Iris50 de la CII et que son industrialisation soit confiée à une équipe
d'ingénieurs de la société Eca-Automation, sous la direction de Stephen Stépanian. Et qui nous
convainquit , Georges et moi, de quitter l'Université pour effectuer ce transfert de connaissances en
entrant dans le monde industriel de Eca-Automation.
Les deux premières installations de Socrate furent opérationnelles en 1973 au Centre Informatique
de la CPAM à Grenoble, pour améliorer le traitement des feuilles de maladie et au Centre
Informatique de la Gendarmerie à Roissy. Il fallut 10 ans, la décennie des années 70, pour que
Socrate, devenu Clio, commence à rentabiliser tous les investissements consentis par Eca
Automation, devenu Syseca. Cette réussite on la doit principalement à la confiance que le créateur
et PDG de cette entreprise, Pierre Thellier, avait en JRA et dont nous avons hérité. Dans les années
90 le succès de Socrate fut à son apogée, avec plus de mille installations en France. Au-delà de l'an
2000 il y avait encore en France plusieurs sites utilisateurs de Socrate.
Pour conclure je dois remercier le destin, en mon nom et en celui de tous les enfants de Socrate,
d'avoir mis sur notre route un guide et un ami d'une intelligence exceptionnelle et d'une générosité
intellectuelle rare. Merci, Jean-Raymond.
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