CNRS, Hommage à Jean-Raymond Abrial

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C’est avec une grande tristesse que le CNRS a appris la disparition de Jean-Raymond Abrial, décédé le 26 mai 2025 à l’âge de 86 ans.

« Il y a deux sortes de chercheurs : les prolifiques et les monomaniaques. Je fais partie de la seconde catégorie, car j'ai toujours pratiqué le même genre d’investigations, à savoir la spécification et la construction vérifiée de systèmes informatisés. » C’est ainsi que Jean-Raymond Abrial, père des formalismes et méthodes Z, B et Event-B, se présentait le 1er avril 2015 au Collège de France.

Derrière cette modestie, qui l’a toujours accompagné, se cachait un homme de renommée mondiale dans le domaine de la vérification formelle de systèmes. Jean-Raymond Abrial a su ériger des principes et des méthodes scientifiques qui ont porté et portent de belles réalisations industrielles. Il était reconnu tant dans le monde académique (recherche et enseignement) que dans le monde industriel. Ingénieur en génie maritime formé à l’École Polytechnique et boursier du gouvernement français à Stanford, Jean-Raymond Abrial débute sa carrière au Centre de programmation de la Marine où il travaille sur le langage LTR2, langage réalisé aux USA pour le projet Apollo.

C’est à l’IMAG à la fin des années 60 qu’il crée en deux ans avec une équipe de 3 thésards le système de gestion de base de données (SGBD) SOCRATE, en appliquant déjà son approche radicale : spécifier avant de programmer. Implanté sur un grand nombre de systèmes d'exploitation et de machines dans les années 1980, le SGBD SOCRATE (renommé CLIO) n’est pas resté un prototype universitaire et est utilisé pendant longtemps dans l'industrie. Lors du colloque de Cargèse de 1974, il publie Data Semantics, un article qui se retrouve en tête des bibliographies pendant des décennies. C'est également à Grenoble qu’il jette les bases de la méthode et notation de spécification formelle Z, langage de spécification utilisé pour décrire et modéliser les systèmes informatiques qui connaîtra un rayonnement international. Il rejoint le Programming Research Group (PRG) d’Oxford en 1979, où la version connue de Z sera finalisée et mise en œuvre, notamment chez IBM pour la réécriture du logiciel CICS, ce qui vaudra au PRG son premier Queen’s Award for Technology. Jean-Raymond Abrial fera également partie de l'équipe Green de CII-Honeywell-Bull dirigée par Jean Ichbiah qui est sélectionnée pour définir et concevoir le langage qui s'appellera ensuite ADA.

Dans la continuité de Z, Jean-Raymond Abrial développe la méthode B, dont il expose les fondements dans un article devenu célèbre (La programmation comme un exercice mathématique). Pour lui, écrire un programme revient à construire une preuve. Cette vision sera appliquée à grande échelle, notamment dans le secteur ferroviaire. La RATP le contacte pour réaliser l’audit technique du logiciel sécuritaire du RER A. Devant l’absence de spécifications, il ne peut répondre aux questions posées. La RATP lui demande alors une formation à la méthode B. Il participe par la suite à la conception de la ligne 14 du métro parisien, première ligne automatisée dont le logiciel sécuritaire a été réalisé en effectuant un développement suivant la méthode B avec preuves des spécifications, raffinements et génération automatique du code. Pour rendre cette approche accessible à l’industrie, après le B-Toolkit développé avec de B-Core Limited, il conçoit pour la ligne 14 de la RATP l'AtelierB, un environnement complet d’assistance au développement et à la démonstration, avec la société Stéria et Alstom. La démarche et les outils B ont été utilisés dans de nombreux projets de métros et navettes sans conducteurs tant en France qu’à l’étranger.

En vue d’intégrer la dimension « système », Jean-Raymond Abrial poursuit ce travail par l’élaboration du formalisme et de la méthode Event-B appliquée au développement formalisé d'un système. C’est en qualité de Professeur à l'École polytechnique fédérale de Zurich qu’il crée et développe avec son équipe la plateforme Rodin, support de Event-B largement adoptée par la communauté scientifique internationale actuellement. Des projets de recherche en France et à l’international feront évoluer Rodin les années suivantes. Aujourd’hui, la méthode Event-B/B est largement utilisée dans la communauté scientifique internationale sur les méthodes formelles de développement de systèmes par la preuve et le raffinement. 

Entre 2019 et 2025, Jean-Raymond Abrial est chercheur associé à l’Institut de recherche en informatique de Toulouse (IRIT - CNRS/INP Toulouse/Université de Toulouse), et participe ainsi au projet ANR EBRPRodinPLUS, développé dans les laboratoires IRIT, Laboratoire d’algorithmique, complexité et logique (LACL – Université Paris Est Créteil), Laboratoire méthodes formelles (LMF - CNRS/ENS Paris-Saclay/Université Par is-Saclay) et le Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications (LORIA - CNRS/Inria/Université de Lorraine).

En 2006, il est reçu membre de l’Academia Europaea et, en 2008, docteur honoris causa de l’Université de Sherbrooke. En 2017, il reçoit, en présence du président chinois Xi Jinping, l’International Scientific and Technological Cooperation Award.

Reconnu pour son engagement à partager ses idées, Jean-Raymond Abrial restera dans les mémoires non seulement pour ses contributions majeures à notre communauté, mais aussi pour sa grande gentillesse, son sourire chaleureux qu’il arborait presque toujours, et son goût pour la marche et la montagne, de Marseille à Cassis comme à travers le Sahara. Son œuvre et sa personne laisseront une trace profonde et durable.

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